JEAN GAUDREAU

CONCILIER L'Iconciliable


par Isabelle Bussières (Vie des arts Été 2000, No.179)


Le titre, Métamorphose 11, que Jean Gaudreau a donné à sa récente exposition de peinture est justifié en ceci qu'il évoque clairement son évolution artistique, celle d'un automatiste postmodeme fougueux et spontané qui suit l'ins­piration du moment. Tout comme pour ses œuvres antérieures, le pin­ceau de Gaudreau parle le langage du subconscient, représente le mi­roir de l'âme de l'artiste mais s'exprime cette fois en un tout plus cohérent.

De fins cheveux de lumière dessi­nent les lignes maîtresses des toiles récentes de Gaudreau. Bien qu'il se soit assagi au cours des deruières années, le peintre est demeuré fidèle à lui­même: il présente des tableaux riches en couleurs qui témoignent de sa force créatrice. Si les toiles sont plus dépouillées et les couleurs sûrement moins violentes, le déchaînement caractéristique de l'artiste n'a pas pour autant disparu, Il s'est trans­formé. On observe une frénésie plus maîtrisée, attrihuable à une plus grande maturité. L'artiste se démar­que des formes traditionnelles de représentation pour laisser poindre un langage plus intime. Li­mage prégnante de ses toiles est plus centrée. Le vert, le bleu et le jaune équilibrent ses tableaux. Le doré, omni-présent dans les œuvres de Métanwrphose II, leur confere une note liturgique, tandis que le noir les galvanise et que le rouge souligne la violence qu'elles veulent exprimer.

Les animaux, les oiseaux et l'en­semble des représentations figura­tives sont toujours présents. l'artiste les révèle à sa manière: il vaporise de fins nuages de couleurs mates sur le fond de la toile et applique en­suite des taches filandreuses de pein­ture. Formes et lignes se détachent ainsi des toiles. Les animaux et per­sonnages s'animent sous les yeux des visiteurs, les oiseaux prennent leur envol...

La particularité du travail de Gaudreau tient à ce qu'il tente de concilier l'inconciliable, de réu­nir des éléments disparates pour en faire un tout visuel. Dans L'homme oiseau, la forme sombre du per­sonnage se détache nettement du reste égayé par des tons de rouge, d'orange, de jaune et de bleu. Sans ces coloris, on serait tenté d'v voir le portrait d'une âme esseulée, errant plus que vagabondant dans un univers hostile et blafard où seule une aile d'ange permet d'entrevoir un soupçon d'espoir, de vie, de légè­reté, de liberté.

Dans Les contraires s'attirent, des silhouettes ressemblant à des ca­davres «animés» s'élèvent comme pour tenter de rejoindre des cieux plus cléments. Au sol, un charivari évoque une sorte de guerre sainte qui propulse les figures vers le haut, vers l'infini.

Au gré de son évolution, le peintre adopte une démarche de plus en plus personnelle. On pourrait reprocher à l'artiste de juxtaposer toujours les mêmes couleurs et de provoquer ainsi des effets prévisibles, voire mo­notones. Il gagnerait donc à exploiter autrement sa palette chromatique. Parfois, une douce quiétude gagne le tableau, comme dans le cas de Polypus déformées, où des formes délicates qui rappellent des pieuvres s'élèvent en virevoltant allégrement vers les hauteurs célestes. Si, comme le dit l'artiste Leng Hong, «peindre les paysages du corps ou peindre la peau des rêves c'est toujours dessiner son paysage intérieur», alors le paysage intérieur de Gau­dreau est plutôt fascinant. Les élé­ments de son œuvre, pièces dé­tachées du subconscient universel, s'assemblent adroitement sur toile, comme un puzzle.